ECOTONE

« Le territoire genevois est multiculturel, à forte densité (canton-ville) entourée d’atouts naturels, bassin historique économique et de transports, terreau favorisant les échanges et l’innovation. Entre conservatisme et libéralisme, patrimoine et international. »

Michael Meier – CASE2 – Projet ecotone – analyse « méta »

© Alessandro Pignocchi

« Les formes économiques péricapitalistes peuvent être des lieux pour repenser le pouvoir incontesté du capitalisme sur nos vies. A tout le moins, la diversité offre une chance à des manières multiples d’aller de l’avant, et non à une seule. »

Citations tirée de Anna Lowenhaupt Tsing, «Le champignon de la fin du monde – Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme», La Découverte, 2017

Réflexion sur le processus

Dans nos échanges, plusieurs membres du groupe ont souligné qu’ils auraient rétrospectivement souhaité plus de structure, plus de clarté sur les rôles et responsabilités de chacun. Un moment-clé de notre travail a été de prendre le temps de discuter et définir nos valeurs en tant que groupe.

Pour ma part, j’ai apprécié que nous acceptions de lâcher le contrôle sur le résultat pour nous focaliser sur le processus d’exploration. J’ai trouvé que cette posture d’accueillir l’incertitude et de progresser de manière organique, par petits pas, en ajustant à fur et à mesure, était très fertile.

Cette manière de procéder a permis à chacun de prendre sa place et d’être force de proposition, tout en étant ouvert à la nouveauté, à l’inattendu, à la surprise. C’était un leadership partagé.

C’était pour moi une satisfaction que de pouvoir me reposer sur la dynamique du groupe en mettant parfois de côté mon caractère fonceur.

Cette collaboration en intelligence collective a résulté dans une plus grande créativité, plus de plaisir à travailler ensemble et, à mon sens, une meilleure pertinence de notre travail.

« Collaborer, c’est travailler à travers les différences, en prenant acte que nous sommes désormais plus dans l’innocente diversité qui balise les voies toutes tracées d’évolutions autosuffisantes. L’évolution de nos «moi» est déjà polluée par des histoires de rencontres : nous sommes emmêlés à d’autres avant même que nous entamions une nouvelle collaboration. »

Autour des livrables

Nous sommes partis avec beaucoup d’entrain sans savoir ce que nous allions trouver à la fin. Les attentes vis-à-vis du résultat tel que je l’imaginais ou que nous l’imaginions en groupe ont évolué au cours du processus. Chacun a eu ses élans et ses moments de doute ou de fatigue.

Nous avons un programme de livrable ambitieux et avons sous-estimé le temps de travail requis pour y arriver. Néanmoins, les objectifs que nous nous étions fixés étaient cohérents et réalisables.

En fin de travail, il est important pour moi de me sentir fier de ce que nous avons accompli. Et aussi d’achever ce que nous avons décidé avec une qualité suffisante pour nous sentir fier de notre travail, fier de pouvoir le restituer aux personnes qui nous accordé de leur temps et leur confiance, les personnes interviewées mais aussi notre mandataire vidéo Ulrich, notre webmaster Yannis et notre graphiste, ainsi qu’à nos formateurs et les autres étudiants, voir nos proches et collègues. Faire honneur à tous ces contributeurs m’est important.

Pour moi, le véritable livrable n’est pas le website et son contenu. C’est l’expérience commune que nous avons vécue ensemble, les liens d’amitié que nous avons tissés, ce que nous avons activé dans l’invisible pour transformer nos mondes.

Quelle transmission ?

Au début de la démarche, nous nous sommes demandé si elle pourrait servir d’expérience pilote et être reproduite par d’autres ou s’étendre sur la base de la même méthodologie.

Concrètement, je pense que la démarche peut sans problème être reprise et adaptée par d’autres. Il me semblerait aussi envisageable de transmettre le website Ecotone à une nouvelle équipe qui aurait envie de poursuivre et étendre la démarche avec d’autres interviews ou d’autres sources. Peut-être que nos « lessons learned » pourraient servir de pistes pour une éventuelle suite. Au niveau des thématiques, la nécessité d’une réforme de notre système d’enseignement et de formation est ressorti comme un élément central et inattendu. Également les potentiels de la participation citoyenne au travers de lieux dédiés (tiers-lieux) pour réaliser la transition. Cela pourrait être le point de départ d’un nouveau processus Ecotone.

Il y a également une dimension supplémentaire à explorer dans la dynamique de groupe pour aller dans davantage de profondeur et de synergies, en mettant en pratique les outils de la méditation et de l’intelligence du corps, par exemple les approches novatrices de la méditation pleine présence, la pédagogie perceptive ou encore le coaching perceptif. Puisque nous avons fondé notre approche sur une analogie avec l’écotone comme milieu naturel, pourquoi ne pas étendre notre attention au-delà des relations humaines ?

« Mener une écoute politique, c’est détecter les traces de programmes communs en devenir d’articulation. Quand on étend cette forme de vigilance en dehors des réunions formelles jusque dans la vie de tous les jours, de nouveaux défis apparaissent. Comment, par exemple, pouvons-nous faire cause commune avec d’autres êtres vivants ? Écouter ne suffit plus : il faut activer d’autres modes d’attention. »

© Alessandro Pignocchi

Pertinence pour l’évolution du secteur public

A ce stade, je pense que l’intérêt de notre démarche ne se situe pas tant dans la méthodologie mais plutôt dans notre capacité à communiquer ce que nous avons vécu pour que cela puisse être source d’inspiration pour d’autres personnes à oser quelque chose d’original. C’est la raison pour laquelle il me tient à cœur que notre website puisse communiquer notre enthousiasme et aussi notre vécu sensible, afin que cela puisse éventuellement intéresser au-delà de nous.

Tout comme la notion de progrès ou de croissance, la réplicabilité et la scalability sont des obsessions liées au profit, issues de notre passé industriel, qui ont contagié la pensée économique, le management, les sciences jusqu’à nos relations sociales. Si l’on plaide pour un changement de paradigme, il faut probablement nous défaire de ce désir de démultiplication de l’identique visant à optimiser l’investissement et revenir à une humilité qui reconnaît le caractère unique de notre exploration, fruit du dialogue sensible de ses protagonistes, qui lui confère sa saveur et sa tonalité singulière.

Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes prêtés au jeu de miser sur la diversité de notre groupe, de nos interlocuteurs et de nos modes de restitution. Cela nous a permis de mettre à l’épreuve les apports théoriques de notre formation, de vivre en pratique ce que nous avons appris et de progresser. Si les services publics accordaient davantage de place à ce type d’exploration, je suis persuadé que cela pourrait être bénéfique aussi bien pour les employés que les usagers, pour au final améliorer la qualité des prestations.

Au seuil de la généralisation des IA dans tous les domaines de la vie, il me paraît urgent de prêter une attention nouvelle à ce qui constitue le fondement de notre humanité – notre responsabilité d’être humain – qui peut justifier d’un avenir commun : notre aptitude à ressentir ensemble, nos intuitions, notre perception des nuances subtiles, notre appartenance au monde du vivant, notre créativité, nos rêves, nos appels à la transcendance, nos héritages… enfin, notre capacité à embrasser la diversité !

« Sans plus d’histoire de progrès auxquelles se raccrocher, le monde est devenu un endroit terrifiant. Ce qui est ruiné nous reproche l’horreur de son abandon. On ne sait pas trop comment continuer à vivre et encore moins comment éviter la destruction planétaire. Heureusement, on trouve encore des alliés, humains et non humains. On peut encore explorer les bords broussailleux de nos paysages désolés, qui sont autant les bords de la discipline capitaliste, de la scalabilité et des plantations abandonnées. On peut encore capter la senteur des communs latents et cet arôme d’automne insaisissable. »

© Alessandro Pignocchi